Consultant en communication RSE, formateur/enseignant, conférencier, animateur de débats, journaliste… que de casquettes pour un seul homme. Yves CAPPELAIRE respire, vit et diffuse la com RSE de toutes les manières possibles. On ne peut l’arrêter et surtout on ne peut qu’apprécier son approche mordante et décomplexée du métier. C’est avec plaisir qu’il met les choses au clair et qu’il nous livre quelques fondamentaux.
1/ Parlez-nous de votre activité de conseil. Qu’est-ce que la com RSE pour vous ?
« Dans ce milieu on peut tomber sur des gens qui ont tendance à faire des injonctions ; « vous devez faire ci » ou « vous devez faire ça ». En général je me garde bien d’accoler derrière les mots « communication » ou « marketing » les termes « responsable » ou « durable ». Vous ne me verrez jamais dire, marketing responsable ou marketing durable… Pour moi ça ne veut rien dire. Je suis porteur d’une analyse qui considère que la RSE est une donnée marché. Ce n’est pas une donnée affective. On n’est pas dans le moral, dans le bon, le bien ou le juste.
Non pas que les marques n’aient pas intérêt à expliquer l’éthique de leur business , mais la morale diffère en fonction des gens. Chacun a sa version de la morale. Est-ce que les entreprises d’aujourd’hui peuvent parler de morale, de bon, de bien, de juste ? Elles ont essayé il y a quelques années, au début de la RSE, fin des années 90. Elles ont commencé à avoir toutes les mêmes pages internet. « Nous croyons » « Nous pensons » « Nous sommes convaincus »… Je prends souvent pour exemple une très belle déclaration d’un PDG américain qui explique comment le développement durable va permettre à son entreprise de changer les choses. Pour info, il s’agissait du PDG d’Enron[1] !!
Cette approche « morale » ne marche pas car c’est une dimension trop affective.
Moi je rappelle toujours que la première responsabilité de l’entreprise est de faire du profit sur le long terme. Donc quand on me dit « je vais faire du marketing durable », je dis que je connais peu d’entreprises qui se disent « tiens je vais faire un business pendant 3 mois et après j’arrête ». Toutes les entreprises veulent durer. L’entreprise est un acteur économique extrêmement important et qui a pour but de faire du profit. »
2/ Donc les valeurs morales ne rentrent pas dans ces aspects-là ?
« Elles peuvent rentrer, mais elles sont à géométrie variable. On ne peut pas en faire une norme.
En revanche la génération de profit, on sait comment elle se fait : il y a une offre et une demande. Le seul juge de paix des produits et services que l’on propose, à ma connaissance, c’est le marché. Quand Apple a sorti l’iPhone en 2008, il n’y a pas eu d’étude de marché. Steve jobs disait bien « les gens ne savent pas ce qu’ils veulent, avant que vous ne leur ayez montré ». C’est le marché qui juge.
Pour reprendre l’exemple de Steve Jobs, s’il avait dû réaliser une étude il n’aurait jamais lancé l’iPhone.
Ce qui prouve que c’est bien le marché qui juge de la pertinence de l’offre.
Depuis 60 ans, on enseigne la même méthodologie marketing, sauf qu’aujourd’hui la génération de profit se fait sous l’œil et l’intervention de parties prenantes. Il s’agit des personnes -physiques ou morales- qui ne rentrent pas dans la transaction économique, dans le processus d’achat et de vente. Qu’il s’agisse d’une ONG, d’un organisme de presse, d’une page Facebook, des riverains… ils peuvent approuver ou désapprouver. Ce qui d’ailleurs n’est pas nouveau. Il y a toujours eu des personnes qui n’entrent pas dans le processus marchand mais qui viennent influencer l’entreprise. C’est ce qu’on appelle des parties prenantes.
Ce qui a impulsé un changement depuis 10 ans, ce sont les réseaux sociaux ! Sans eux Greenpeace manifesterait toujours avec des pancartes. Mais grâce au buzz, notamment sur Youtube, ils ont fait payer des « petites PME de province » comme Nestlé, Zara, Levi’s, Légo.
Aujourd’hui le discours des parties prenantes est audible, lisible et il pèse. C’est–à–dire qu’il fait courir un danger sur les fondamentaux des marques : cours de bourse, ventes et réputation. Donc le nerf de la guerre : l’argent. Quand Nestlé s’est fait attaquer en 2010 par Greenpeace, ils ont fait tout ce qu’il ne fallait pas faire, jusqu’au jour où le cours de l’action Nestlé a baissé.
Il y donc un réel risque qui porte sur le business model, sur la « machine à faire du profit ». A partir de ce moment-là les marques se sont dit que ça ne sentait pas bon et elles ont commencé à faire quelque chose. Si on reprend l’exemple de Greenpeace vs Nestlé sur l’huile de palme, il y a une autre « petite marque de province » (Nutella) qui s’est dit qu’elle serait la prochaine. Ils ont préparé l’arsenal de réponses : communiqué de presse, site internet dédié, prise de parole, promo de la filière durable…
C’est du risk management. »
3/ Alors faire de la com RSE, c’est faire de la com de crise ?
« Qu’est-ce qu’on demande à une grosse marque dans la RSE ? Est-ce que c’est de faire de la parité, du philanthropique ? Ce que j’appelle des « figures imposées ». Non. C’est pour cela que c’est un sujet marketing. Il faut considérer le marché, et aujourd’hui ses fondamentaux sont : offre – demande – influenceurs / parties prenantes. Ces dernières sont efficaces, elles utilisent à bon escient le web 2.0. Si on a compris cela, on a compris que les marques ont un devoir de responsabilité.
Mais qu’est-ce que la responsabilité ? Sa racine étymologique signifie respectivement en grec et en anglais, respondere et response. Il s’agit donc d’un devoir de réponse. Si on ne répond pas à une pression qui pèse sur le business, on subit un bad buzz et ses conséquences. D’ailleurs Leclerc[2] vient encore de l’expérimenter. La capacité à répondre à une sollicitation ou à un risque c’est une responsabilité. C’est du risk management et ça peut être effectivement quelque fois de la com de crise.
Prenons l’exemple de Vinci, ils ont une politique RSE longue comme le bras. Or, Sherpa[3] les a accusés de faire de l’esclavagisme au Qatar. Ils sont attaqués sur une problématique sur laquelle ils sont déjà sensibilisés. Ils ont activé la cellule com de crise puisqu’ils sont dans l’obligation de répondre ; d’une part parce qu’il y a poursuite au tribunal, d’autre part pour juguler les risques qu’encourent leur réputation et leur visibilité.
Donc oui on est très souvent en risk management, en com de crise et en RSE réactif.
Mais il y a aussi des exemples où on est en anticipation : Interface[4] !
Le patron en 74 a créé sa boite. Pic pétrolier ! Puis en vient à se dire que son business model est menacé par une partie prenante micro économique : l’environnement, et notamment la ressource utilisée. Donc en 94, il a converti son business model de moquette dont la production est basée sur le pétrole, pour évoluer vers un produit éco conçu. Interface est l’un des plus beaux succès dans le domaine de l’anticipation.
C’est pour cela qu’il s’agit d’une approche marketing, considérant le marché et les influenceurs, et sachant répondre prioritairement à ceux qui posent ou poseraient problème. On connait les parties prenantes, on connait leur degré de « nocivité », de risque, et on est capable de leur apporter des réponses. Si la marque n’en est pas capable, elle tend le bâton pour se faire battre. C’est le principe de la matrice de matérialité, qui, pour moi, n’est ni plus ni moins qu’une analyse de marché étendue. J’ai mes consommateurs, mes produits, mon marché et les gens autour (mes salariés, les riverains…).
Vous pouvez mener plein d’actions en faveur de la biodiversité, si votre partie prenante s’avère plus intéressée par les ondes émises dans la tête des gens, par les téléphones que vous vendez, vous risquez de subir des attaques. Si on donne une réponse disproportionnée par rapport à la demande, on n’est pas bon. Il faut identifier les exigences des parties prenantes et votre capacité à y répondre. Petite exigence = petit niveau de réponse. Grosse exigence = gros niveau de réponse. »
4/ Existe-t-il des profils type du marketing et de la com RSE ?
« Avez-vous vu le film World War Z ? Vous souvenez-vous du général Israélien ? L’homme le moins drôle de l’état-major de Tsahal, le plus rationnel ; on lui dit qu’il y a un zombie en Inde (ce qui semble improbable) et il fait construire un mur ! Pourquoi ? Il répond que dans les années 30, les Juifs ne croyaient pas qu’ils allaient être déportés dans des camps de concentration ; en 72, ils ne pensaient pas qu’il y aurait eu des massacres aux jeux olympiques ; avant octobre 1973 ils avaient vu des mouvements de troupes et ils avaient considérés qu’ils ne constituaient pas une menace, un mois après il y a eu la guerre du Kippour. Maintenant dans toutes les décisions il y a un 10e homme. Celui qui dit ça va arriver, c’est possible. Dans toute démarche marketing, réunion de conception de produit ou autres, il devrait y avoir un 10e homme qui identifierait les risques et interpellerait sa direction. Son travail est d’enrichir, de prévoir les risques et les réponses adéquates. C’est cela du marketing intégrant la RSE. »
Staëns.
Propos recueillis le 09.07.2015.
[1] Enron fut un acteur du secteur de l’énergie et l’une des entreprises américaines les plus florissantes. Elle fit faillite en 2001, après avoir artificiellement gonflé sa valeur boursière. Cela reste l’un des plus gros scandales financiers des 20 dernières années.
[2] Foodwatch a dénoncé Leclerc pour avoir fait figurer la mention « 100% dinde » sur son jambon de dinde, alors que l’équivalent d’une tranche sur six correspond à de l’eau et des algues.
[3] Association qui protège et défend les populations victimes de crimes économiques.
[4] Fabricant de dalles de moquette.
J’aime bien l’idée du 10ème homme, mais il faudrait lui donner un rôle (précaution/défensif, innovant/offensif).
Merci pour le commentaire. Le 10ème homme peut en effet endosser un rôle défensif ou offensif. Ce qui est intéressant c’est que même lorsqu’il est dans un rôle préventif il peut ouvrir la porte à d’autres perspectives et donne ainsi la possibilité d’innover.